NOS NEURONES SONT BILINGUES
Louis-Éric Trudeau s’intéresse depuis 15 ans à la dopamine et au fonctionnement d’une région du cerveau en cause dans la maladie de Parkinson, la schizophrénie et la dépendance aux drogues.
En présentant, dans Nature Reviews Neuroscience, une synthèse de 104 articles publiés depuis cinq ans sur l’action des neurotransmetteurs dans certaines maladies neurologiques, des chercheurs du Canada, de France et de Suède ont permis «une percée dans notre compréhension du cerveau», estime Louis-Éric Trudeau, l’auteur à l’origine de l’article paru ce mois-ci dans la revue britannique.
Le phénomène qu’ils ont mis au jour laisse penser, 80 ans après les premières observations (L’observation est l’action de suivi attentif des phénomènes, sans volonté de les modifier, à…) sur le mécanisme de communication (La communication concerne aussi bien l’homme (communication intra-psychique,interpersonnelle, groupale…) que l’animal (communication intra- ou inter- espèces) ou la machine…) des neurones par le Prix Nobel Henry Hallett Dale (1875-1968), que les cellules nerveuses des vertébrés sont très souvent… bilingues. Ils ont appelé cette caractéristique «cotransmission». «On a tous une langue maternelle et nombreux sont ceux qui apprennent une autre langue au cours de leur vie. Pour les neurones du cerveau, c’est la même chose. Ils échangent des informations grâce à certains neurotransmetteurs dont on connait assez bien la fonction. Mais ils peuvent simultanément produire et sécréter une molécule essentielle à la bonne marche (La marche (le quasi-pléonasme marche à pied est également souvent utilisé) est le mode de locomotion naturel de l’être humain. Il consiste en un déplacement en appui…) du système nerveux (Le système nerveux est un système en réseau formé des organes des sens, des nerfs, du cerveau, de la moelle épinière, etc. Il…), le glutamate. Nous avons surnommé cette propriété « bilinguisme cellulaire »», explique le professeur de la Faculté de médecine (La médecine est une science, un art, et une technique dont l’objet est à la fois l’étude du corps humain et de son…) de l’Université de Montréal (Montréal est à la fois région administrative et métropole du Québec[2]. Cette grande agglomération canadienne constitue…).
Les neurones utilisant comme messagers chimiques la dopamine, la sérotonine et l’acétylcholine correspondent à ce modèle et ils sont associés à des maladies comme le Parkinson, la schizophrénie et la dépression majeure. C’est donc un grand pan de l’activité cérébrale sur lequel on jette un nouvel éclairage.
Le chercheur en neuropharmacologie de 42 ans se positionne sur la scène internationale en signant cet article de 12 pages avec Salah El Mestikawy, Åsa Wallén-Mackenzie, Guillaume (Guillaume est un prénom masculin d’origine germanique. Le nom vient de Wille, volonté et Helm, heaume,…) M. Fortin et Laurent Descarries. L’article sera sans aucun doute cité dans la plupart des autres recherches sur le sujet au cours des prochaines années. Plus de six mois (Le mois (Du lat. mensis «mois», et anciennement au plur. «menstrues») est une période de temps arbitraire.) ont été nécessaires à la rédaction des multiples versions. «Nous avons centré notre analyse sur les études effectuées principalement depuis trois ans, incluant une vingtaine de travaux provenant des laboratoires des signataires», dit le chercheur (Un chercheur (fem. chercheuse) désigne une personne dont le métier consiste à faire de la recherche. Il est difficile de bien cerner le métier de chercheur tant les domaines de recherche…) originaire de Sorel.
Une piste pharmaceutique
Louis-Éric Trudeau
Sur le plan thérapeutique, l’avancée des connaissances en matière (La matière est la substance qui compose tout corps ayant une réalité tangible. Ses trois états les plus communs sont l’état solide, l’état liquide,…) de bilinguisme cellulaire pourrait permettre la mise au point (Graphie) de procédés capables de modifier le répertoire des messagers chimiques utilisés par les neurones ou de bloquer certains des récepteurs du glutamate, ce qui aurait pour conséquence de ralentir la dégénérescence nerveuse causant la maladie de Parkinson, notamment.
Récemment, l’équipe de Louis-Éric Trudeau, avec la collaboration de celle de Laurent Descarries, a obtenu des Instituts de recherche en santé du Canada une subvention (Une subvention est une aide financière, c’est-à-dire une somme d’argent, qui est allouée par…) de 170 000 $ par an durant cinq ans afin de suivre cette piste prometteuse. Mais le scientifique (Un scientifique est une personne qui se consacre à l’étude d’une science ou des sciences et qui se consacre à l’étude d’un domaine avec…) met en garde ceux et celles qui espèreraient trouver un comprimé anti-Parkinson à la pharmacie du coin à brève échéance, à la suite de ces découvertes. «Il y a encore bien du chemin à parcourir avant de pouvoir passer seulement aux essais cliniques. Nous sommes à l’étape de la recherche fondamentale (La recherche fondamentale regroupe les travaux de recherche scientifique n’ayant pas de finalité économique déterminée au moment des travaux. On…).»
À la tête d’une équipe de sept membres, incluant une agente de recherche et des étudiants au doctorat (Le doctorat (du latin doctorem, de doctum, supin de docere, enseigner) est généralement le grade universitaire le plus élevé. Il s’agit du grade de docteur. Selon les pays, le…) et au postdoctorat, Louis-Éric Trudeau s’intéresse depuis 15 ans à la dopamine et au fonctionnement d’une région du cerveau en cause dans la maladie de Parkinson, la schizophrénie et la dépendance aux drogues. Son équipe a récemment créé une lignée de souris génétiquement modifiées pour mieux comprendre les liens entre dopamine et glutamate dans les maladies du cerveau. «Des laboratoires qui étudient la dopamine relativement à telle ou telle maladie, il y en a beaucoup. Plus rares sont ceux qui, comme nous, tentent de comprendre les maladies à partir d’une exploration (L’exploration est le fait de chercher avec l’intention de découvrir quelque chose d’inconnu.) des mécanismes fondamentaux qui régulent la neurotransmission. Comment les neurones à dopamine communiquent-ils en conditions normales et pathologiques ? C’est ce que nous cherchons à savoir.»
L’étincelle de la trousse de chimiste
Il faut remonter à la petite enfance de Louis-Éric Trudeau pour trouver l’étincelle à l’origine de son choix de carrière. «Vers l’âge de 10 ans, j’ai reçu un jeu de chimie (La chimie est la science qui étudie la composition et les réactions de la matière.) en cadeau et je crois que ma fascination pour la science (La science (du latin scientia, connaissance) relève Historiquement de l’activité philosophique, et fut pendant longtemps un exercice…) a commencé à ce moment-là.»
Plusieurs années après avoir provoqué des petites explosions dans la cour de la maison familiale à Baie-D’Urfé (soufre, salpêtre, charbon et boum!), le jeune homme a visité un laboratoire. Un professeur du cégep de Saint-Laurent, Jean Desjardins, l’a accompagné dans un véritable centre de recherche universitaire. «Ça m’a fasciné de savoir qu’on pouvait gagner sa vie à mener des recherches sur le fonctionnement du cerveau», relate-t-il.
Après des études en psychologie, il a fait une maitrise en neurosciences en France, puis un doctorat à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (Montréal est à la fois région administrative et métropole du Québec[2]. Cette grande agglomération canadienne constitue…), pour ensuite poursuivre sa formation aux États-Unis. À son retour, il a ouvert un laboratoire au Département de pharmacologie de l’Université de Montréal. «J’ai connu les méthodes européenne et nord-américaine. Sans vouloir tomber dans les clichés, j’estime qu’on a vraiment, au Québec, le meilleur des deux mondes. De plus, je peux faire de la science (La science (du latin scientia, connaissance) relève Historiquement de l’activité philosophique, et fut pendant longtemps un exercice…) en français», mentionne ce père de deux enfants.
À un journaliste de Télé-Québec qui lui a demandé quelle est la plus grande qualité d’un bon chercheur, il a fait cette réponse étonnante: «Il faut être capable de rebondir en cas d’échecs.»
Source: Mathieu-Robert Sauvé – Université de Montréal
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