COMBATTRE LE TRAFIC DE FAUX MEDICAMENTS
Vendredi 19 novembre 2010
« Le trafic des faux médicaments. Comment le combattre ? »
De nombreux acteurs, notamment des professionnels de santé, de la lutte contre les trafics organisés et des industriels se sont exprimés.
Les faux médicaments représentent 10% du marché mondial du médicament.
Le trafic de faux médicaments est un crime contre l’humanité qui représente environ 50 milliards de dollars par an, soit 10 à 15 % de plus que le marché de la drogue.
Leur trafic, en progression constante, tue davantage que la drogue dans les pays du Sud. Avec la vente de médicaments sur Internet, le phénomène se développe également dans les pays du Nord.
Deux partenaires étaient associés à l’organisation de ce colloque :
- la fondation Chirac, qui a lancé, avec l’« Appel de Cotonou » en octobre 2009, signé par cinq chefs d’État africains et ratifié par environ trente chefs d’État ou de gouvernement, une campagne de mobilisation contre le trafic des faux médicaments.
Son objectif est de parvenir à l’établissement d’un cadre juridique contraignant soumis à signature devant l’Assemblée générale des Nations Unies.
- la fondation Pierre Fabre qui a pour objet, dans un but humanitaire, d’améliorer les conditions dans lesquelles les populations déshéritées des pays émergents ont accès aux médicaments.
La fondation Pierre Fabre s’est installée au Bénin, plaque tournante du faux médicament pour toute la zone. Le Bénin et sa capitale Cotonou sont inondés par l’arrivée massive de faux médicaments, qui sont vendus principalement sur le grand marché de Dantokpa.
En liaison avec les autorités de santé du Bénin d’importantes campagnes de sensibilisation à l’égard des populations ont été menées pendant de nombreuses années.
Ces actions de sensibilisation ont été prolongées par des actions sur la promotion des médicaments génériques essentiels, et surtout par la remise à niveau du laboratoire national de contrôle de la qualité des médicaments du Bénin. En moins de quatre ans le laboratoire a pu contrôler les médicaments les plus sophistiqués, incluant les antipaludiques et les antirétroviraux.
La fondation Pierre Fabre, s’est rapprochée de la fondation Chirac, avec laquelle elle a noué un partenariat pour prolonger la lutte contre les faux médicaments dans ce pays.
Quel type de médicaments contrefaits ?
Les dernières estimations établies conjointement par l’OMS, l’OCDE et le Pharmaceutical Security Institute révèlent que dans certaines zones de l’Amérique latine, de l’Asie du Sud-est et de l’Afrique sub-saharienne plus de 30% des médicaments sont des contrefaçons. Dans les économies émergentes cette proportion est estimée à 10%, mais dans beaucoup des ex-républiques soviétiques elle peut atteindre 20%. Dans les pays riches, où il existe des mécanismes de contrôle réglementaire puissants, les contrefaçons représentent moins de 1% de la valeur de marché, mais 50% des ventes illégales sur internet concernent des médicaments contrefaits.
Cette proportion atteint des sommets en Centrafrique, avec 85%!
En Afrique, en Asie et en Amérique latine, le trafic de faux médicaments se concentre surtout sur les antibiotiques et les antipaludéens.
Prmi les médicaments contrefaits on trouve des produits ne contenant aucun principe actif mais aussi d’autres qui contiennent des substances hautement toxiques. Les spécialistes estiment que 15 à 20 % des faux médicaments renferment des substances toxiques.
Ils peuvent nuire aux patients par leur incapacité à traiter des maladies graves, ils peuvent provoquer une pharmacorésistance et dans certains cas entraîner la mort.
Quels risques les patients encourent-ils ?
Selon des chiffres confirmés par l’Organisation mondiale de la santé, 60 % des médicaments contre le paludisme vendus dans le monde sont des contrefaçons. Or, cette maladie est responsable de 800.000 à un million de morts par an. Les spécialistes estiment que si tous les patients recevaient le bon traitement, le nombre annuel de décès pourrait diminuer de près de 300.000.
Dans certains cas, les faux médicaments sont composés de sucre ou de farine et ils font courir de graves risques à leurs consommateurs en ne soignant pas leur affection. Pire encore lorsqu’ils sont composés de substances dangereuses pour la santé : il y a deux ans, à Haïti, 150 enfants des rues de Port-au-Prince sont décédés après avoir reçu un sirop contre la toux contenant un liquide de refroidissement pour moteur de voiture.
On assiste fréquemment à des intoxications aiguës ou encore à la non-guérison d’infections chroniques. La plupart des patients sous dialyse de l’hôpital de Cotonou sont dans cet état à cause de la prise de faux médicaments contenant de la chaux.
Structures de contrôle
Pourtant, selon les calculs des experts, il ne coûte guère plus cher à une personne d’acheter un médicament dit essentiel générique (ces produits sont vendus dix fois moins cher que les spécialités) dans une pharmacie que des comprimés sur les marchés. Mais trop souvent, la population africaine pense que les pharmacies sont réservées aux riches. C’est d’ailleurs pourquoi des actions ciblées de sensibilisation des populations sont régulièrement menées dans plusieurs pays.
Même si les spécialistes savent bien que le trafic de faux médicaments ne pourra jamais être éradiqué, ils estiment que la situation peut – et doit – être améliorée. Cela passe notamment par une information de la population et surtout par la mise en place de structures de contrôle de la qualité du médicament dans tous les pays. Il faut que chaque médicament arrivant dans un État passe par le laboratoire national de contrôle.
Il est primordial que la formation de ceux qui seront en charge de ce contrôle et la mise en place d’une gouvernance multidisciplinaire sur le sujet ( police, douane, professionnels de santé) soient assurées.
De quels moyens les Etats disposent-ils pour lutter contre ce fléau ?
Quelle est la situation au niveau mondial ?
Depuis 2004, le Conseil de l’Europe a élaboré une convention intitulée Medicrime. Elle vise à réunir différents partenaires juridiques et coercitifs (douane, police, armée) et le monde sanitaire pour lutter contre ce trafic.
Ce texte punit pénalement le commerce de produits de santé falsifiés. Il encourage les sanctions dissuasives et introduit des mesures de prévention et de protection des victimes.
Cette convention sera soumise à la signature et à la ratification des 47 ministres des Affaires étrangères des Etats membres, les 25 et 26 novembre 2010, à l’occasion de la conférence des ministres de la Justice à Istanbul ou, au plus tard, en mars 2011
La convention sera également ouverte aux États non membres du Conseil de l’Europe, comme le sont les conventions récentes.
Interdire la vente de médicaments par Internet ne serait-il pas un moyen simple de lutter contre le trafic de faux médicaments ?
La vente de médicaments sur Internet est interdite en France mais des patients peuvent se laisser tenter, et acheter sur des sites hébergés à l’étranger. Interdire la vente de médicaments par Internet est donc un moyen mais il ne concerne que le trafic dans les pays riches, en particulier en Europe. Et il n’est pas 100% efficace, car on manque de moyens juridiques et douaniers pour contrôler le trafic.
Pour lutter contre les faux médicaments, ne faut-il pas élargir le modèle français avec une chaine du médicament entièrement contrôlée par les pharmaciens, ce qui explique pourquoi on ne trouve pas de contrefaçon dans les officines?
Le circuit de distribution du médicament en France est exemplaire et est une protection contre tous les trafics de faux médicaments. Mais cela est difficilement transposable dans les pays du sud, qui sont les premières victimes de ces trafics.
Il y a toutefois des moyens réalisables sous les tropiques comme transformer des kiosques de marchandise dans les campagnes en pharmacie d’approvisionnement pour toute une région et leur fournir des médicaments non trafiqués qu’ils distribueraient aux populations. Il est primordial aussi d’éduquer la population et de sensibiliser les gens aux risques encourus.
Le nouvel Envoyé spécial du ministère des Affaires étrangères et européennes chargé de la lutte contre les médicaments falsifiés, Thierry le Lay, était l’un des intervenants du colloque sur le trafic de faux médicaments .
Auparavant, il était numéro deux de la mission interministérielle chargé de la reconstruction d’Haïti.
Il nous a expliqué en quoi consistait son nouveau poste–
Au plan national, il s’agit de contribuer à l’élaboration des positions de la France en facilitant, le plus en amont possible, une étroite coordination entre les ministères concernés : Affaires étrangères et européennes, Santé et Sports, Outre-mer et Collectivités territoriales, Intérieur, Enseignement supérieur, Budget, Comptes publics, Réforme de l’Etat et Recherche.
Il entretient également un dialogue avec l’ensemble des partenaires de la santé : associations, fondations, industries pharmaceutiques.
Dans le cadre international, sa mission consistera en liaison avec les directions du ministère à mobiliser notre réseau diplomatique afin de sensibiliser les dirigeants des pays concernés et de les amener à prendre la pleine mesure de ce fléau. Il portera cette problématique dans les enceintes européennes et internationales (OMS, Interpol, OIF..).
Ses priorités sont de définir un cadre national d’intervention approprié, pour lutter contre la diffusion et les trafics de médicaments falsifiés et sensibiliser les organisations internationales et l’ensemble des pays émergeants et pays en voie de développement.
Il a martelé que le trafic de médicaments falsifiés est un fléau aussi grave que le trafic de drogue ! Il draine des capitaux frauduleux dans des proportions comparables. Et avec des conséquences tout aussi dévastatrices ! Dans les pays pauvres, ce sont en effet des centaines de milliers d’hommes, de femmes mais aussi d’enfants qui trouvent la mort chaque année en croyant se soigner.
Derrière ce marché, se cachent des organisations qui réalisent des bénéfices considérables, sans prendre beaucoup de risques, car les institutions répressives ne disposent pas de l’arsenal juridique nécessaire pour lutter efficacement contre ces activités criminelles.
La situation en Europe
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de la moitié des médicaments achetés sur des sites internet seraient des faux.
Aujourd’hui les trafiquants restent difficiles à démasquer en raison du manque de coopération internationale et les sanctions à leur égard restent faibles.
L’Europe est relativement à l’abri mais les trafiquants arrivent toujours à trouver une faille. Ces dernières années, a été marquée par l’explosion sur internet des offres de médicaments d’abord liés au plaisir sexuel, ou pour des régimes, et maintenant on trouve aussi des médicaments traitant les maladies cardiaques ou la maladie de Parkinson.
Ces « pharmacies en ligne » inquiète particulièrement l’organisation mondiale de la santé. L’OMS a constitué le groupe IMPACT (groupe spécial international anti-contrefaçon de produits médicaux), chargé de suivre les évolutions de cette activité au niveau international, et de dynamiser le dispositif de lutte. Ce programme porte sur la législation, la répression, la réglementation, la technologie et la communication.
L’objectif est de démanteler le réseau européen en mobilisant les services chargés de la répression des fraudes.
IMPACT met également en garde contre l’achat de médicaments par l’intermédiaire de sites internet douteux et attire l’attention des gouvernements sur le fait que les lois existantes sur la contrefaçon de médicaments sont inappropriées et n’ont pas d’effet dissuasif.
Certaines pharmacies en ligne ont une existence tout à fait légale et ont été créées pour faciliter la vie des clients et pour leur permettre de faire des économies. Elles exigent des ordonnances et font livrer les médicaments par des unités de production autorisées. D’autres pharmacies sur internet opèrent dans l’illégalité, en vendant des médicaments sans ordonnance et en utilisant des produits non approuvés ou contrefaits. Ces pharmacies hors la loi sur internet sont gérées de manière internationale, n’ont pas d’adresse professionnelle enregistrée et vendent des produits dont l’origine est inconnue ou douteuse.
La protection des citoyens
Les systèmes juridiques de la plupart des pays ne considèrent pas la contrefaçon de médicaments comme un crime plus grave que la contrefaçon de produits de luxe tels que sacs ou montres. Dans certains pays industrialisés, la contrefaçon de t-shirts est punie plus sévèrement que la contrefaçon de médicaments.
Voici le message qu’il faut impérativement faire circuler ; « ne prenez pas le risque d’acheter des médicaments d’origine inconnue, comme sur internet. Si vous devez en acheter sur internet, assurez-vous que le site est celui d’une pharmacie que vous connaissez et à laquelle vous faites confiance. »
Des campagnes de sensibilisation comportant notamment des messages d’intérêt public, des films explicatifs et d’autres matériels destinés à susciter une prise de conscience ont commencé à viser divers secteurs professionnels susceptibles d’être confrontés au problème des contrefaçons. Des organisations de professionnels de la santé et de consommateurs appuient ces initiatives.
En dehors de l’Europe
Trois pays connaissant une forte proportion de contrefaçons ont déjà commencé à attaquer le problème avec l’aide d’IMPACT. L’Indonésie et le Mali ont lancé de vastes campagnes d’éducation du public sur les dangers des contrefaçons et pour dissuader les gens d’acheter les moyens de se soigner au marché noir. Le Vietnam est en train d’élaborer des mécanismes permettant d’assurer une meilleure coordination entre les organismes de réglementation, la police, les douanes et les autorités provinciales, afin d’améliorer la détection des médicaments contrefaits et des faussaires.
On également été évoquées les situations de catastrophe (tsunami en Indonésie, Tremblement de terre en Haïti, inondations au Pakistan) qui draine un afflux énorme de médicaments falsifiés. La criminalisation se rajoute à la catastrophe.
Conclusion
La contrefaçon du médicament est une tromperie pour le consommateur qui risque sa vie, un manque à gagner pour les entreprises, un déficit d’image pour le médicament. C’est donc un acte criminel contre lequel nos actions doivent être coordonnées au niveau mondial.
Ce trafic odieux se développe sans aucune contrainte, car il n’existe ni loi ni barrières économiques.
Les experts prônent également une mobilisation au plus haut niveau avec l’Union européenne, Interpol, les douanes, pour tenter de faire en sorte que le trafic de faux médicaments devienne criminel, et non plus seulement un délit.
Ces jours-ci, Interpol a annoncé, la saisie de plus d’un million de gélules de médicaments contrefaits au terme d’une opération menée pendant une semaine à travers quarante-cinq de ses pays membres.
Il est plus que jamais impératif de favoriser une prise de conscience de la communauté internationale pour lutter contre le trafic de faux médicaments.
SOURCE : Site du Sénateur Kammerman
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